Une déplacée ukrainienne, médecin à l’OFII aujourd’hui, témoignage saisissant d’un long parcours


Arrivée en France le 12 mars, quelques jours après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Victoria travaille aujourd’hui au centre « Accueil Ukraine » Porte de Versailles à Paris, en tant que médecin vaccinateur.

Tout au long de son récit, de nombreuses larmes ont été versées. Malgré la tristesse et la douleur qu’elle ressent, Victoria a tenu à raconter l’histoire de sa fuite d’Ukraine de bout en bout.

Elle ne parle pas encore français, et son anglais est un peu trop approximatif pour exprimer les nuances et les détails. C’est donc en russe qu’elle raconte son histoire, accompagnée d’une traductrice bénévole de France Terre d’Asile, réfugiée russe qui a fui Moscou pour Paris il y a 33 ans.

Les deux femmes se sont rencontrées au centre  « Accueil Ukraine » Porte de Versailles à Paris et entretiennent un lien fort, flagrant dans les émotions qu’elles partagent lors du va et vient de la traduction.

Victoria était médecin gynécologue depuis 35 ans en Ukraine. Elle a commencé son parcours dans une maternité avant d’intégrer un institut gynécologique. Elle est ensuite devenue professeure dans l’oblast de Dnipropetrovsk avant d’intégrer une polyclinique dans la région. Elle se rêvait musicienne, mais son père en a décidé autrement. Elle le remercie aujourd’hui chaque jour de son conseil, tant elle aime son métier.

Ce métier elle le pratiquait dans la petite ville industrielle de Kryvyi Rih lorsque la guerre a commencé. Le 24 février au matin, le choc a été immense pour Victoria. Elle qui est russophone et a de la famille en Russie, ne s’imaginait pas que ça pouvait arriver, malgré les nouvelles qui allaient dans ce sens-là les semaines précédentes. Quand elle entame son récit, les larmes lui viennent tant elle ne conçoit pas que ces deux peuples si liés puissent se faire la guerre.

Sa fille l’a appelée le matin du 24 février. Elle lui dit de partir immédiatement. Victoria vit avec sa propre mère qui est sénile. Comment faire pour fuir dans ces conditions ? Quelques heures plus tard les bombardements commencent. Les aller-retour dans la cave pour se protéger sont incessants et deviennent vite intenable pour une personne très âgée. En ville, les médicaments disparaissent des pharmacies et des rumeurs courent sur l’approche de l’armée russe. Victoria prend donc finalement la décision de partir. Avant cela, elle rassemble tous les vêtements chauds et les affaires qui pourraient être nécessaires pour les volontaires ukrainiens qui partent se battre.

Le voyage commence donc à 5 dans une voiture : Victoria, sa mère, et trois autres membres de sa belle-famille. Au petit matin, tous partent pour la frontière polonaise, située à 1000 kilomètres de là. La route est fatigante et se fait au rythme des alarmes et des bombes. Les exilés s’écartent de l’itinéraire principal car celui-ci est bombardé. Cela les oblige à prendre des petites routes au cœur de l’hiver ukrainien. À cause du verglas dans un virage, Victoria perd le contrôle de son véhicule qui va s’abimer dans le fossé sur le bord de la route.

Heureusement tout le monde en sort indemne.  Mais la voiture est maintenant inutilisable. La famille de Victoria est donc recueillie par d’autres personnes fuyant la guerre et emmenée jusqu’à la ville la plus proche. Victoria, répètera souvent au cours de son récit que la guerre, si elle est terrible, lui a fait prendre conscience qu’il y a plus de bonnes personnes que de mauvaises. Lors de l’accident, toute la colonne de voiture s’est arrêtée pour les aider.

Pour poursuivre leur fuite du pays, il ne reste donc plus que le train. Les gares sont bondées mais les gens sont étonnement calmes. Les proches de Victoria embarquent finalement après plusieurs heures d’attente dans un train plein à craquer, sans possibilité d’aller aux toilettes ou même de se déplacer tant la densité de personne est importante. Seuls les enfants sont installés sur les sièges pour leur éviter de se faire écraser. Le trajet prendra 17h d’inquiétude et de peur. Aucune information ne filtre, les téléphones n’ont pas de réseau, chaque arrêt peut signifier que les Russes les ont rattrapés.

Enfin, c’est l’arrivée à Lviv, proche de la frontière polonaise. Là encore Victoria décrit une mer de gens qui tous s’entraident et prennent soin des plus faibles dans le calme et sans panique. Pour aller jusqu’à la Pologne voisine, il faut prendre le bus. Finalement, Victoria et ses proches arrivent dans un camp de réfugiés où de nombreux Polonais volontaires sont venus les aider. Une fois de plus, Victoria ne tarit pas d’éloges sur la bonté de toutes ces personnes.

Le centre « Accueil Ukraine » Porte de Versailles alors que l’affluence diminue

En Pologne, la pression se relâche un petit peu, la blessure de l’abandon du foyer est toujours présente, mais voir tant de gens les aider, voir sa propre mère pourtant si âgée continuer d’avancer malgré les difficultés de la route, tout cela redonne un peu d’espoir à Victoria et à ses compagnons d’infortune.

Elle se rend également compte de la misère des gens. Elle qui a travaillé dans le milieu médical n’a jamais vu autant de personnes démunies de sa vie. Elle gardera pour toujours l’image d’une jeune femme, les yeux vides, immobile, un nouveau-né dans les bras, comme prisonnière d’un cauchemar, comme une allégorie du désespoir.

Victoria passe ensuite 10 jours à Varsovie, avec sa mère qui commence à perdre la tête. Elles prennent ensuite l’avion pour la région parisienne où vit la fille de Victoria, installée en France depuis près de 3 ans. Elle est accueillie à la préfecture d’Issy-les-Moulineaux dans un guichet unique pour demandeurs d’asile spécial Ukrainiens et bénéficie comme ses compatriotes de la Protection temporaire et d’un petit revenu similaire à l’allocation pour demandeur d’asile. Seulement, elle n’arrive pas à ôter la guerre de ses pensées et souhaite à tout prix, se rendre utile pour aider les exilés qui continuent d’arriver. Elle laisse donc son numéro de téléphone et quelques jours plus tard l’OFII la rappelle.

C’est ainsi que Victoria commence à travailler au centre d’accueil des déplacés ukrainiens à Porte de Versailles à Paris. Son travail consiste en théorie à encourager la vaccination des nouveaux arrivants Ukrainiens. En pratique, elle est aussi une oreille attentive et une source de conseils pour les déplacés désorientés. Elle aide également à déchiffrer les dossiers médicaux, dont certaines abréviations sont obscures pour les non-initiés, surtout s’ils ne parlent pas russe ou ukrainien. Elle devient un élément incontournable du centre d’accueil, tant par son caractère doux, sensible et à l’écoute, que par sa capacité à encourager la vaccination. Depuis qu’elle est arrivée, selon la Direction du service médical de l’OFII, ce sont deux fois plus d’Ukrainiens qui se font vacciner Porte de Versailles.

Aujourd’hui, une profonde tristesse doublée d’incompréhension l’habite encore mais désormais l’espoir s’est fait une petite place. Elle voit combien les jeunes Ukrainiens sont travailleurs et plein de ressources. Certains parlent anglais et même déjà français. Et pour ceux qui semblent perdus, elle leur raconte son histoire et les mets sur la « bonne voie ». Elle leur explique qu’il faut apprendre le français, qu’il faut chercher un travail, qu’il faut s’insérer dans la société. De cette manière, quand la guerre sera finie, tous pourront retourner en Ukraine reconstruire un pays plus beau que jamais. La culpabilité habite ces exilés dans un premier temps, ils se considèrent comme des traîtres qui ont fui leur patrie, laissant les hommes se battre. Chaque jour, des vidéos circulent recensant tous les pères, les frères, les fils tombés au combat. Victoria explique à tous ceux qu’elle croise qu’il faut survivre, même loin de chez soi, pour revenir ensuite et reconstruire.

Victoria n’a de cesse de remercier la France, l’OFII, et deux de ses docteurs qui lui ont tous donnés une chance d’aider ses compatriotes. Elle aime les gens avec qui elle travaille, à l’image de Françoise, médecin vaccinateur présente sur place lors de l’entretien, ou de la traductrice de son récit et avec qui elle a tissé un lien puissant.

« Voir Paris et mourir ». Ce dicton ukrainien n’a plus beaucoup de sens pour ceux qui sont ici. Tous pensent à leur foyer laisser à l’est. Pourtant, signe que l’espoir revient et que la vie continue, 3 mois après être arrivée, Victoria pense à aller visiter le musée d’Orsay.